Interview – Les participants de la marche étaient à 99 % pacifiques, pourquoi les punir ?
Le politologue Omar Shaban critique la méthode de la «Marche du retour» qui s’est soldée par la mort de dizaines de Gazaouis, tout en critiquant l’usage de la force par Israël.
Politologue gazaoui issu d’une famille de réfugiés, ex-candidat indépendant aux législatives palestiniennes qui ont suivi les accords d’Oslo de 1993, Omar Shaban, de l’institut PalThink, dresse un bilan mitigé de la «Marche du retour».
Que retenez-vous de ce mouvement ?
En tant qu’activiste et pacifiste, je suis effaré par la manière dont la marche a été conduite. L’idée de départ [réunir les Gazaouis chaque semaine le long de la frontière pour rappeler leur «droit au retour» de façon non violente, ndlr] était excellente. Son application, désastreuse. La société civile, d’où venait l’idée, aurait dû être plus impliquée. La non-violence, ce n’est pas que des mots, c’est aussi éviter tout acte qui peut servir de prétexte à l’autre bord pour dénoncer une agression. Car le but, c’est qu’à la fin de la journée, personne ne meurt. Depuis des semaines, on a vu Israël utiliser la plus grande force, sans retenue. C’était donc aussi à nous d’adapter notre méthode, pour ne leur donner aucune excuse : appeler au franchissement de la frontière, ce n’était pas la manière de faire. Imaginez plutôt, si on avait envoyé 2 000 enfants poser des fleurs à la frontière, là, on aurait vraiment mis Israël et la communauté internationale dans l’embarras. Aujourd’hui, comment demander aux gens de revenir, après tous ces morts, tous ces blessés [depuis le 30 mars, plus de 100 Palestiniens ont été tués et plus de 2 000 blessés par balles] ?
Comment expliquez-vous cette forme de «dérive» dans la protestation ?
La lutte palestinienne a toujours été créative. Mais la marche a été contaminée par la culture des factions, leurs méthodes – ça a tué la réflexion. Où sont les nouveaux Edward Saïd et Mahmoud Darwich [grands intellectuels palestiniens des années 70-80] ? Je suis certain qu’on a des gens de cette qualité dans notre peuple, mais on ne les laisse plus parler. L’autoritarisme politique écrase tout. L’implication du Hamas et sa rhétorique belliqueuse des dernières semaines ne blanchit pas Israël : les participants de la marche étaient à 99 % pacifiques, pourquoi les punir ainsi ? Quoiqu’il en soit, la population, elle, est très mal payée pour son sacrifice.
L’Egypte a néanmoins rouvert sa frontière pour le mois de ramadan…
Oui, mais à part ça ? D’accord, la sortie par l’Egypte est possible pour quelques jours, mais à côté de ça, on a démoli – ou plutôt quelques manifestants stupides ont démoli – le terminal humanitaire de Kerem Shalom… On a rendu le siège plus dur encore ! Donc les bénéfices pour la population, je dirais qu’ils sont nuls, vu le tribut humain.
Le Hamas parle d’une «victoire»…
Pour eux ! Très isolés ces derniers mois, notamment après l’échec de la réconciliation interpalestinienne chapeautée par Le Caire, ils ont certainement regagné du poids dans le jeu diplomatique en remettant la crise à Gaza au centre de l’attention internationale. L’Egypte tend à nouveau l’oreille, Israël fait passer des messages… Combien de temps cela va durer, c’est la question. Et surtout, comment le retour du Hamas au centre du jeu va-t-il affecter notre lutte ?
Qui étaient les manifestants ? Israël les dépeint comme des «terroristes» aux mains du Hamas…
C’est bien sûr faux, mais la réalité, c’est que la marche n’a pas mobilisé des segments très divers de la population, mis à part la jeunesse. Cette jeunesse qui a grandi sous blocus n’a jamais rien connu de bon, n’a jamais mis le nez hors de Gaza… Eux avaient toutes les raisons d’y aller, que le Hamas les encouragent ou pas. Le Hamas est une partie de l’histoire, mais l’histoire est bien plus grande que le Hamas. C’est un symptôme. Le fond du problème, c’est le siège, toujours. Pourquoi punir une population entière à cause d’une organisation ? Rouvrir les frontières changerait tout. Ça pourrait même modérer le Hamas, le rendre pragmatique. Mais non, Israël préfère garder les gens en cage. Et on s’attend à ce qu’ils aient est un comportement normal ? Tout l’environnement pousse à la radicalité. Seuls les forts parviennent à rester modérés.